Procès du Mediator : la charge anti-Servier de Bergmann
Lors de sa déposition, le 13 janvier, l'ancien vice-président de la Commission d'autorisation de mise sur le marché des médicaments a accablé le groupe Servier. Par Baudouin Eschapasse
Jean-François Bergmann est un témoin clé dans le procès du Mediator. Il a, en effet, coprésidé la Commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) des produits pharmaceutiques de 2003 à 2012. Ce médecin de 65 ans, qui a fait l'essentiel de sa carrière à l'hôpital Lariboisière à Paris, avait précédemment été vice-président de la Commission de la transparence, l'organisme chargé d'évaluer « le service médical rendu » par les médicaments de 1996 à 2002.
Dans ces deux positions, il a pu voir les efforts mobilisés par le groupe Servier, fabricant du Mediator, pour obtenir non seulement le feu vert des autorités pour commercialiser ce dérivé d'amphétamine, pourtant toxique, mais aussi et surtout pour garantir son remboursement par la Sécurité sociale. Présenté par le laboratoire pharmaceutique comme un médicament antidiabétique, ce produit a, de fait, été remboursé, pendant près de trente ans, pour 65 % de sa valeur par le régime d'assurance maladie (obligatoire et complémentaire). Et même à 100 %, lorsqu'il était prescrit à des diabétiques.
Servier, labo « atypique » ?
Ancien vice-président de la Commission d'autorisation de mise sur le marché, Jean-François Bergmann a tenté d'expliquer pourquoi le Mediator était resté en vente si longtemps.
© DR
Jean-François Bergmann s'est présenté à la barre du tribunal correctionnel de Paris le 13 janvier. Et c'est peu dire que son témoignage a apporté une lumière crue sur les méthodes du groupe pharmaceutique dont les dirigeants siègent sur le banc des accusés. Au cours d'un long monologue, suivi d'une séance de questions-réponses d'un peu moins de quatre heures, ce praticien hospitalier a brossé un portrait saisissant des manœuvres du groupe Servier. Est-ce pour évacuer le sentiment de culpabilité qui le taraude depuis plus de douze ans ? « Je m'en veux encore de ne pas m'être opposé (le 5 avril 2007, lors d'une réunion qui était consacrée à cette question, NDLR) à la reconduction de l'autorisation de mise sur le marché du Mediator », a-t-il confié. Le professeur a, en tout cas, étrillé le laboratoire pharmaceutique.
Le groupe Servier avait « un positionnement atypique » dans le paysage hexagonal, a-t-il commencé. « Si l'on observe les médicaments développés par ce laboratoire, on se rend compte qu'il s'est concentré sur trois types d'organes ou, du moins, trois types de fonctions : la première, neuro-psychique, qui englobe le traitement de la dépression, de l'excitation ou de la faim ; une deuxième qui porte sur les fonctions vasculaires, notamment l'hypertension ; une troisième qui couvre les fonctions métaboliques comme le diabète », a-t-il déclaré. Les « médicaments » développés par cette entreprise ont été présentés, à tour de rôle, dans chacune de ces catégories, donnant l'impression d'être interchangeables. Ce que le professeur a résumé d'une formule : « C'étaient des couteaux suisses. »
Des « médicaments » couteaux suisses
« Il suffit de consulter les notices-patient des produits Servier pour s'en rendre compte », a-t-il poursuivi. « Les indications thérapeutiques contenues à l'article 4.1 de ces notices et les propriétés pharmacodynamiques, présentées dans leur article 5.1, n'ont souvent rien à voir », a souligné M. Bergmann. Arguant de résultats de tests réalisés sur les rats ou les lapins, la plupart des médicaments de Servier se trouvaient « proposés dans » ou « indiqués pour » différents traitements, parfois très éloignés des effets attendus initialement des molécules qui les composaient. Il en a cité trois exemples.
Le Mediator était, on le sait maintenant, un coupe-faim (ou anorexigène). Ce qui n'a pas empêché le groupe Servier de le « vendre » comme un antidiabétique car, « lorsqu'on ne mange pas, on fait forcément diminuer sa glycémie en forçant l'organisme à puiser dans ses réserves ». Le Pneumorel, à l'origine un anti-inflammatoire, a été commercialisé, à partir de 1973, en tant que sirop « antitoux ». Il a fini par être retiré du marché, en toute discrétion, en novembre dernier, en raison de sa dangerosité. Dernier exemple, un produit contre les hémorroïdes (le Daflon) des mêmes laboratoires Servier, toujours en vente aujourd'hui, est présenté à la fois comme un remède contre les problèmes capillaires cutanés, les saignements (métrorragie) chez les femmes portant un stérilet et la baisse d'acuité du champ visuel d'origine vasculaire. Une véritable panacée !
17 produits sur 21 au pilori
Le professeur a émis un jugement sans appel sur le catalogue de médicaments produits par le laboratoire, suscitant des réactions outrées sur les bancs du public, où étaient installés une poignée de salariés du groupe venus soutenir Jean-Philippe Seta, ex-numéro deux du groupe, et Emmanuel Canet, représentant légal de l'entreprise, qui comparaissent devant le tribunal correctionnel de Paris depuis le 23 septembre.
Plusieurs cadres du groupe Servier (Jean-Philippe Seta, ex-numéro 2 et Emmanuel Canet, représentant légal de l'entreprise) mais aussi de l'Agence du médicament sont poursuivis dans le cadre du procès Mediator.
© BENOIT PEYRUCQ / AFP
« Sur les vingt et un produits Servier que comptait le Vidal (la publication recensant les produits pharmaceutiques disponibles) dans les années 1980, six ont été, depuis, retirés du marché, cinq ont été déremboursés, quatre sont sur la liste noire du journal Prescrire de décembre. Je considère que deux autres sont suspects. […] Il en reste trois ou quatre clean. […] Pour arriver à un tel résultat, ce n'est pas seulement que le système est atypique, c'est aussi qu'il est mauvais. Dix-sept médicaments au pilori sur vingt et un, ce n'est pas rien », a assené le professeur Bergmann, s'attirant les foudres des avocats du groupe.
Lire aussi : pourquoi (et comment) l'Agence du médicament a failli !
Appelé à se concentrer sur le Mediator par la présidente du tribunal, Sylvie Daunis, le médecin a souligné, lors des questions-réponses avec les avocats des parties civiles, qu'« on ne peut pas comprendre la crise du Mediator sans comprendre comment fonctionne le groupe Servier ». Un groupe que le praticien hospitalier a qualifié de « particulièrement difficile à gérer ». L'une des avocates de victimes, Sylvie Topaloff, lui a demandé de préciser pourquoi il présentait cette entreprise en ces termes. « À l'hôpital, il y a toujours 20 % des malades qui font 80 % des problèmes. Pour le groupe Servier, c'est un peu la même chose. C'est le laboratoire qui, en permanence, revient à la charge (après une commission), modifie une virgule dans un compte rendu de réunion, demande un ajout dans une communication », a émis le professeur, rappelant à la barre « les échanges pénibles (qu'il avait eus) avec l'avocat de Servier » quand l'instance qu'il coprésidait s'était penchée sur les effets indésirables du Protelos (un médicament désormais cantonné au traitement de l'ostéoporose sévère, NDLR). « Avec ce laboratoire pharmaceutique, tout n'est qu'argutie et discussions interminables. Au bout d'un moment, c'est éreintant », a-t-il conclu.
Mélange des genres
Les représentants des laboratoires Servier ont riposté en sous-entendant que le professeur aurait sans doute eu la dent moins dure avec le groupe Servier si Bergmann avait été rémunéré par lui. François de Castro, défenseur du laboratoire, a ainsi énuméré les nombreux groupes pharmaceutiques avec lesquels le vice-président de la Commission de l'AMM a collaboré. Pêle-mêle : Sanofi, Novartis, GSK, ou encore Bayer. Ce à quoi le professeur Bergmann lui a rétorqué que ces contrats de « conseil en développement » chez les groupes cités figuraient tous dans sa « déclaration d'intérêts ». Et que c'est lui qui ne voulait pas travailler pour Servier.
Poussé dans ses retranchements sur un éventuel mélange des genres, le professeur a assuré que « les liens d'argent pèsent moins que les liens affectifs », citant une étude réalisée sur un produit Sanofi où il avait été « investigateur principal » alors même qu'il était rémunéré par le même laboratoire. « Cela ne m'a pas empêché de dire que leur médicament était mauvais. Dans ce genre d'étude, vous ne pouvez pas mentir. Vous avez un groupe A et un groupe B. Chaque groupe prend le médicament ou un placebo. Les statistiques sont là pour trancher la question de son efficacité », a-t-il affirmé, n'en accusant pas moins Servier d'études « biaisées ».
Les limites du dispositif
Reste que le plus terrifiant de son témoignage a résidé dans la description de la manière dont travaillait, jusqu'en 2012, l'instance chargée de l'instruction des dossiers de médicaments. Outre le fait que l'intéressé a confié à la barre n'avoir jamais lu son règlement intérieur et a reconnu, de facto, que les dispositions éthiques qui y figuraient étaient appréciées de manière élastique. « Seules les personnes ayant un lien d'intérêt majeur avec un laboratoire s'abstenaient de prendre part aux débats », a-t-il concédé. Et la nature de ce lien était appréciée au cas par cas.
L'instance semblait, par ailleurs, très sous-dimensionnée par rapport à la masse et à l'ampleur des décisions à prendre. « Nous étions un peu noyés », a reconnu le médecin, décrivant les séances de la Commission d'autorisation de mise sur le marché comme hâtivement préparée. Le professeur a ainsi cité l'exemple d'une séance de 2011 (« Nous en comptions deux par mois, en général le jeudi ») où chaque membre avait reçu, le lundi précédent, près de 619 pages de documentation sur chacun des 51 médicaments examinés ce jour-là. Trois jours pour lire 619 pages ! « Sans compter les dossiers que nous découvrions en réunion : sur table », a-t-il indiqué, précisant que chaque décision se prenait alors en moins de… vingt minutes. « C'est-à-dire dans des conditions difficiles. Surtout pour des gens qui font ça bénévolement », a admis Jean-François Bergmann.Procès du Mediator : la charge anti-Servier de Bergmann
Lors de sa déposition, le 13 janvier, l'ancien vice-président de la Commission d'autorisation de mise sur le marché des médicaments a accablé le groupe Servier. Par Baudouin Eschapasse
Jean-François Bergmann est un témoin clé dans le procès du Mediator. Il a, en effet, coprésidé la Commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) des produits pharmaceutiques de 2003 à 2012. Ce médecin de 65 ans, qui a fait l'essentiel de sa carrière à l'hôpital Lariboisière à Paris, avait précédemment été vice-président de la Commission de la transparence, l'organisme chargé d'évaluer « le service médical rendu » par les médicaments de 1996 à 2002.
Dans ces deux positions, il a pu voir les efforts mobilisés par le groupe Servier, fabricant du Mediator, pour obtenir non seulement le feu vert des autorités pour commercialiser ce dérivé d'amphétamine, pourtant toxique, mais aussi et surtout pour garantir son remboursement par la Sécurité sociale. Présenté par le laboratoire pharmaceutique comme un médicament antidiabétique, ce produit a, de fait, été remboursé, pendant près de trente ans, pour 65 % de sa valeur par le régime d'assurance maladie (obligatoire et complémentaire). Et même à 100 %, lorsqu'il était prescrit à des diabétiques.
Servier, labo « atypique » ?
Ancien vice-président de la Commission d'autorisation de mise sur le marché, Jean-François Bergmann a tenté d'expliquer pourquoi le Mediator était resté en vente si longtemps.
© DR
Jean-François Bergmann s'est présenté à la barre du tribunal correctionnel de Paris le 13 janvier. Et c'est peu dire que son témoignage a apporté une lumière crue sur les méthodes du groupe pharmaceutique dont les dirigeants siègent sur le banc des accusés. Au cours d'un long monologue, suivi d'une séance de questions-réponses d'un peu moins de quatre heures, ce praticien hospitalier a brossé un portrait saisissant des manœuvres du groupe Servier. Est-ce pour évacuer le sentiment de culpabilité qui le taraude depuis plus de douze ans ? « Je m'en veux encore de ne pas m'être opposé (le 5 avril 2007, lors d'une réunion qui était consacrée à cette question, NDLR) à la reconduction de l'autorisation de mise sur le marché du Mediator », a-t-il confié. Le professeur a, en tout cas, étrillé le laboratoire pharmaceutique.
Le groupe Servier avait « un positionnement atypique » dans le paysage hexagonal, a-t-il commencé. « Si l'on observe les médicaments développés par ce laboratoire, on se rend compte qu'il s'est concentré sur trois types d'organes ou, du moins, trois types de fonctions : la première, neuro-psychique, qui englobe le traitement de la dépression, de l'excitation ou de la faim ; une deuxième qui porte sur les fonctions vasculaires, notamment l'hypertension ; une troisième qui couvre les fonctions métaboliques comme le diabète », a-t-il déclaré. Les « médicaments » développés par cette entreprise ont été présentés, à tour de rôle, dans chacune de ces catégories, donnant l'impression d'être interchangeables. Ce que le professeur a résumé d'une formule : « C'étaient des couteaux suisses. »
Des « médicaments » couteaux suisses
« Il suffit de consulter les notices-patient des produits Servier pour s'en rendre compte », a-t-il poursuivi. « Les indications thérapeutiques contenues à l'article 4.1 de ces notices et les propriétés pharmacodynamiques, présentées dans leur article 5.1, n'ont souvent rien à voir », a souligné M. Bergmann. Arguant de résultats de tests réalisés sur les rats ou les lapins, la plupart des médicaments de Servier se trouvaient « proposés dans » ou « indiqués pour » différents traitements, parfois très éloignés des effets attendus initialement des molécules qui les composaient. Il en a cité trois exemples.
Le Mediator était, on le sait maintenant, un coupe-faim (ou anorexigène). Ce qui n'a pas empêché le groupe Servier de le « vendre » comme un antidiabétique car, « lorsqu'on ne mange pas, on fait forcément diminuer sa glycémie en forçant l'organisme à puiser dans ses réserves ». Le Pneumorel, à l'origine un anti-inflammatoire, a été commercialisé, à partir de 1973, en tant que sirop « antitoux ». Il a fini par être retiré du marché, en toute discrétion, en novembre dernier, en raison de sa dangerosité. Dernier exemple, un produit contre les hémorroïdes (le Daflon) des mêmes laboratoires Servier, toujours en vente aujourd'hui, est présenté à la fois comme un remède contre les problèmes capillaires cutanés, les saignements (métrorragie) chez les femmes portant un stérilet et la baisse d'acuité du champ visuel d'origine vasculaire. Une véritable panacée !
17 produits sur 21 au pilori
Le professeur a émis un jugement sans appel sur le catalogue de médicaments produits par le laboratoire, suscitant des réactions outrées sur les bancs du public, où étaient installés une poignée de salariés du groupe venus soutenir Jean-Philippe Seta, ex-numéro deux du groupe, et Emmanuel Canet, représentant légal de l'entreprise, qui comparaissent devant le tribunal correctionnel de Paris depuis le 23 septembre.
Plusieurs cadres du groupe Servier (Jean-Philippe Seta, ex-numéro 2 et Emmanuel Canet, représentant légal de l'entreprise) mais aussi de l'Agence du médicament sont poursuivis dans le cadre du procès Mediator.
© BENOIT PEYRUCQ / AFP
« Sur les vingt et un produits Servier que comptait le Vidal (la publication recensant les produits pharmaceutiques disponibles) dans les années 1980, six ont été, depuis, retirés du marché, cinq ont été déremboursés, quatre sont sur la liste noire du journal Prescrire de décembre. Je considère que deux autres sont suspects. […] Il en reste trois ou quatre clean. […] Pour arriver à un tel résultat, ce n'est pas seulement que le système est atypique, c'est aussi qu'il est mauvais. Dix-sept médicaments au pilori sur vingt et un, ce n'est pas rien », a assené le professeur Bergmann, s'attirant les foudres des avocats du groupe.
Lire aussi : pourquoi (et comment) l'Agence du médicament a failli !
Appelé à se concentrer sur le Mediator par la présidente du tribunal, Sylvie Daunis, le médecin a souligné, lors des questions-réponses avec les avocats des parties civiles, qu'« on ne peut pas comprendre la crise du Mediator sans comprendre comment fonctionne le groupe Servier ». Un groupe que le praticien hospitalier a qualifié de « particulièrement difficile à gérer ». L'une des avocates de victimes, Sylvie Topaloff, lui a demandé de préciser pourquoi il présentait cette entreprise en ces termes. « À l'hôpital, il y a toujours 20 % des malades qui font 80 % des problèmes. Pour le groupe Servier, c'est un peu la même chose. C'est le laboratoire qui, en permanence, revient à la charge (après une commission), modifie une virgule dans un compte rendu de réunion, demande un ajout dans une communication », a émis le professeur, rappelant à la barre « les échanges pénibles (qu'il avait eus) avec l'avocat de Servier » quand l'instance qu'il coprésidait s'était penchée sur les effets indésirables du Protelos (un médicament désormais cantonné au traitement de l'ostéoporose sévère, NDLR). « Avec ce laboratoire pharmaceutique, tout n'est qu'argutie et discussions interminables. Au bout d'un moment, c'est éreintant », a-t-il conclu.
Mélange des genres
Les représentants des laboratoires Servier ont riposté en sous-entendant que le professeur aurait sans doute eu la dent moins dure avec le groupe Servier si Bergmann avait été rémunéré par lui. François de Castro, défenseur du laboratoire, a ainsi énuméré les nombreux groupes pharmaceutiques avec lesquels le vice-président de la Commission de l'AMM a collaboré. Pêle-mêle : Sanofi, Novartis, GSK, ou encore Bayer. Ce à quoi le professeur Bergmann lui a rétorqué que ces contrats de « conseil en développement » chez les groupes cités figuraient tous dans sa « déclaration d'intérêts ». Et que c'est lui qui ne voulait pas travailler pour Servier.
Poussé dans ses retranchements sur un éventuel mélange des genres, le professeur a assuré que « les liens d'argent pèsent moins que les liens affectifs », citant une étude réalisée sur un produit Sanofi où il avait été « investigateur principal » alors même qu'il était rémunéré par le même laboratoire. « Cela ne m'a pas empêché de dire que leur médicament était mauvais. Dans ce genre d'étude, vous ne pouvez pas mentir. Vous avez un groupe A et un groupe B. Chaque groupe prend le médicament ou un placebo. Les statistiques sont là pour trancher la question de son efficacité », a-t-il affirmé, n'en accusant pas moins Servier d'études « biaisées ».
Les limites du dispositif
Reste que le plus terrifiant de son témoignage a résidé dans la description de la manière dont travaillait, jusqu'en 2012, l'instance chargée de l'instruction des dossiers de médicaments. Outre le fait que l'intéressé a confié à la barre n'avoir jamais lu son règlement intérieur et a reconnu, de facto, que les dispositions éthiques qui y figuraient étaient appréciées de manière élastique. « Seules les personnes ayant un lien d'intérêt majeur avec un laboratoire s'abstenaient de prendre part aux débats », a-t-il concédé. Et la nature de ce lien était appréciée au cas par cas.
L'instance semblait, par ailleurs, très sous-dimensionnée par rapport à la masse et à l'ampleur des décisions à prendre. « Nous étions un peu noyés », a reconnu le médecin, décrivant les séances de la Commission d'autorisation de mise sur le marché comme hâtivement préparée. Le professeur a ainsi cité l'exemple d'une séance de 2011 (« Nous en comptions deux par mois, en général le jeudi ») où chaque membre avait reçu, le lundi précédent, près de 619 pages de documentation sur chacun des 51 médicaments examinés ce jour-là. Trois jours pour lire 619 pages ! « Sans compter les dossiers que nous découvrions en réunion : sur table », a-t-il indiqué, précisant que chaque décision se prenait alors en moins de… vingt minutes. « C'est-à-dire dans des conditions difficiles. Surtout pour des gens qui font ça bénévolement », a admis Jean-François Bergmann.